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couverture livre

 

Noir procès, offense à chefs d'Etat, Les Arènes, 2002, 307p.

 

C’est l’histoire d’un livre qui dérange.
Noir silence est devenu un livre culte. Par la magie du bouche à oreille, les six cent pages denses et serrées de François-Xavier Vershave se sont vendues à 40.000 exemplaires en un an. Ses pages les plus brûlantes ont circulé au-delà des frontières, photocopiées et faxées dans toute l’Afrique.

C’est l’histoire d’un crime de lèse-majesté.
Furieux, trois présidents africains, à la tête de régimes pétroliers, ont déposé plainte pour " Offense à chef d’Etat ". Conseillés par Maitre Vergès, ils ont choisi d’invoquer l’ancien crime de lèse-majesté. Un article archaïque de notre Code Pénal permet en effet la condamnation d’office de toute publication qui s’attaque à un Chef d’Etat, même si les faits reprochés sont vrais !

C’est l’histoire d’un procès boomerang.
Pendant trois jours, plus de quinze témoins, venus parfois au péril de leur vie, ont témoigné en faveur de l’auteur et de l’éditeur de Noir Silence. Les Chefs d’Etat voulaient la censure. Ils ont récolté la vérité. Le script des trois audiences est un document pour l’Histoire. Chaque dialogue sonne juste. Chaque passe d’arme touche au cœur de la Françafrique.

C’est l’histoire d’une parole enfin libre.
Depuis dix ans, l’association Survie, se bat pour que la vérité soit faite sur la face sombre de notre République : ses réseaux occultes, sa pompe à commission, sa complicité dans des crimes atroces, son Président en prise direct avec les dictatures pétrolières. Au cours de ces audiences exceptionnelles, la Justice française a enfin donné la parole à ceux qui ne l’ont jamais eu. Ils n’ont pas raté cette occasion.

Cela valait un livre.
Vous le tenez entre vos mains.

François-Xavier Vershave est le président de l’association Survie.
Laurent Beccaria est le directeur des éditions Les Arènes.

 

Lire les lettres d'accusation des chefs d'Etat africains

Le procès dans la presse

Lire le Jugement du procès!

Lire le résumé du procès: "Le récit d'une polémique"

 

 
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Extraits des lettres d'accusation des chefs d'Etat aficains

  • Extraits de la lettre d'Idriss Déby au ministre des Affaires étrangères
  • Extraits de la lettre d'Omar Bongo au ministre des Affaires étrangères

 


 

Extraits de la lettre de Denis Sassou Nguesso au ministre des Affaires étrangères

" [...] p. 400 : " La stratégie du groupe Bolloré l'a conduit à conforter un régime auteur de crimes contre l'humanité. " et en page 442 : " Au Congo-Brazzaville, elle favorise le frère Sassou. L'état-major fraternel de TF1 n'est pas pressé d'évoquer les crimes contre l'humanité de ce dernier. "

En p. 443 : " Les Déby, Sassou, Bongo, Compaoré, usent et abusent des frères français pour perpétuer leurs dictatures criminelles ou leurs démocratures prédatrices. "

L'auteur qui prétend en savoir plus que le juge BRUGUIERE, évoque des " complicités congolaises pourtant notoires ".

Poursuivant son roman d'imagination, il affirme : " Ainsi, deux ans avant l'attentat contre l'avion d'UTA, le dictateur congolais en connaissait parfaitement l'instigateur et le mode d'emploi. Il continua de réserver le meilleur accueil aux agents libyens à Brazzaville. Son absence totale de réaction vaut complicité.

D'autant que plusieurs proches de Sassou s'abstiennent au dernier moment de prendre le vol UTA du 19 septembre 1989, alors qu'ils y étaient enregistrés ".

Achevant le passage relatif à l'attentat, M. François-Xavier VERSCHAVE affirme que : " L'un des piliers du régime Sassou I, le leader syndical Bokamba Yangouma, n'avait pas été mis dans la confidence de l'attentat. Il laissera s'envoler sa fille. Il ne le pardonnera pas à Sassou. "

Pour achever la description incomplète de cette calomnie qui se poursuit au fil de chaque page, je vous signale le chapitre intitulé " Horreurs planifiées au Congo-Brazzaville ". J'y suis décrit comme un criminel accompli.

A ma botte des miliciens, les cobras " séropositifs pour la plupart ", qui passent leur temps à violer des jeunes filles et des femmes ou à les exécuter (page 23 : " Des jeunes filles et des femmes sont violées impunément par eux ou les Cobras, séropositifs pour la plupart. Parfois elles sont exécutées. ")

Mais ce n'est pas suffisant pour l'auteur, il faut encore que je prenne l'initiative de faire massacrer des populations civiles, parmi lesquelles des enfants (" Mi-juin, les hélicoptères de combat du camp gouvernemental bombardent les populations des villes de Makabana, Sibiti, et de quelques villages environnants. Ce bombardement a été précédé par le survol d'avions peints aux couleurs de la Croix rouge et de l'ONU/PAM (Programme alimentaire mondial). S'attendant à recevoir de l'aide alimentaire, les habitants affamés sont sortis de la forêt et ont subi l'attaque à découvert. Les avions précurseurs ont-ils été "empruntés", maquillés, détournés de leur objet ? Et cet hélicoptère blanc, siglé Elf, qui aurait carrément bombardé deux villages début juin ? Ou ces deux hélicoptères bleus " de la société Elf ", avec sigles ONU/PAM sur la partie ventrale, qui, selon des partisans de Lissouba, auraient attaqué Sibiti le 1er juillet 1999, envoyé une douzaine de missiles sur l'église protestante d'Indo et mitraillé des enfants ? L'utilisation de ces sigles et logos fait l'objet de trop de témoignages, elle est si choquante, ou provocante, qu'elle méritait un vigoureux démenti, ou des explications. "

Mais si ces exactions ne me valent pas d'être écarté du pouvoir, c'est bien entendu du point de vue de M. Verschave, parce-que j'ai le soutien de la France, mais aussi celui d'un " chef de guerre " en la personne de Monsieur Sirven.

Ce dernier est mentionné en page 67 : " Maints indices suggèrent que Sirven s'est fait aider par son vieux complice Sassou : celui pour qui il jouait les chefs de guerre contre la démocratie naissante ; celui qui, depuis plusieurs décennies, apparaît lui aussi à beaucoup de Congolais comme un "honorable correspondant". "

En page 41, l'auteur affirme que je l'aurais d'ailleurs " un moment abrité contre le mandat d'arrêt international émis par la juge Éva Joly ". En me décrivant comme celui qui massacre les populations civiles, avec l'aide d'un chef de guerre, l'auteur commet indubitablement une nouvelle offense à Chef d'État étranger.

Je termine en attirant votre attention sur le fait que, dans ce livre, la France et ses dirigeants ne sont pas mieux traités que les représentants des démocraties africaines.

Ainsi, tout en voulant persuader les lecteurs qu'à l'instar d'autres dirigeants, je serais le dictateur criminel, ce livre n'a de cesse d'associer la France à mes prétendues exactions.

Ainsi, à titre d'exemple, la France est mise en cause de la manière suivante :

* En page 21, le même témoin signale que " des individus français de race blanche " ont " pris part au massacre des populations au côté des forces publiques ". " Ils étaient avec d'autres militaires en camion sortant directement de l'enceinte de l'ambassade de France à Brazzaville ".
* En page 29, ce sont " les légionnaires français (qui) procèdent à des fouilles systématiques sur les populations civiles ".
* En page 32, " Le 18 juin, l'ambassadeur de France Hervé Bolot célèbre l'appel gaullien de concert avec le ministre de la Défense de Sassou II. Puis il s'affiche auprès du Président-général lors de la Fête de la musique, le 21 juin. Elf sponsorise en grande pompe le rafistolage de la basilique Sainte-Anne du Congo, et une opération de protection des chimpanzés. M6, dans l'émission Pourquoi ça marche du 1er juin, s'épanche sur l'écotourisme dans le parc de Nkonkouati (non loin du port pétrolier de Pointe-Noire) en compagnie d'attachants primates préservés par Elf : "Banane", "Choupette", "Jeannette" et "Pépère". Tandis que des dizaines de milliers de réfugiés meurent de faim et de dénuement dans les forêts voisines. Voilà le téléspectateur français bien informé sur le sort des Congolais. "

Puis, sur six pages, pages 33 à 38, M. François-Xavier VERSCHAVE développe une section qu'il intitule " Une guerre française ". Citons-en les premières lignes qui en résument l'esprit : " Jamais on n'expliquera à ce téléspectateur, pas plus qu'au lecteur des principaux quotidiens ou hebdomadaires, que la France mène une véritable "guerre secrète" au Congo-Brazzaville. [...] "

 


 

Extraits de la lettre d'Idriss Déby au ministre des Affaires étrangères

" [...] Je me contenterai de vous dénoncer les offenses que j'ai relevées contre ma personne.

En page 153, l'auteur, après avoir rappelé des événements dans lesquels j'aurais soi-disant pris une part criminelle, pose la question suivante : " n'entretient-il pas soigneusement sa réputation de tueur, par des carnages réguliers " ?

- en pages 154 " l'irrésistible attirance de Déby et des chefs de son groupe tribal, les Zaghawas, vers le pillage de l'Etat, la mise à sac des populations "adverses" (celles du Sud surtout) et leur "terrorisation".

- en page 161 " mais l'été 1998 a plus fortement illustré encore la décomposition criminelle de ce pouvoir installé par la DGSE. Une énorme affaire de faux monnayage a émergé par les proches du Président Déby avec peut-être des ramifications hexagonales ".

- en page 166, il est imputé au lobby français pro-Déby, s'agissant de ma personne, " de transformer un assassin invétéré (depuis le Lycée) en Chef d'Etat légitime ".

- en page 397, je suis associé à un autre dirigeant africain dans les termes suivant " les dictateurs africains les moins fréquentables, tels Sassou Nguesso et Idriss Déby, goulus de transactions illégales. "

- en page 443, en compagnie d'autres dirigeants africains, je suis accusé de " perpétuer leurs dictatures criminelles ".

- en page 480, je suis traité, avec Monsieur Abdelkader Kamougué de " larrons en foire ".

[...] En pages 162, 163 et 164, Monsieur François-Xavier VERSCHAVE décrit un trafic de faux billets et laisse croire aux lecteurs qu'y seraient impliqués mes proches : " par pure coïncidence, l'incontournable ami de Déby et Sassou Nguesso, Pierre Aïm seraient en relations d'affaires avec Idriss Outman, le Directeur de la Banque Tchadienne de Développement, suspect de couvrir des trafics en tous genres. Le petit frère d'Idriss Outman, Abakar travaillerait pour Aïm à MONACO" ; une semblable imputation figurait déjà en page 69 : "le faux monnayage a droit de citer en Françafrique, grâce notamment au régime "frère" du tchadien Idriss Déby et de feu le nigérien Baré Maïnassara ". [...]

En tant que de besoin, et ce n'est pas pour moi une consolation, j'attire votre attention sur le fait que la France n'est pas en reste dans cette somme d'accusations.

L'auteur, non content de dénigrer le Tchad en s'attaquant à son dirigeant, critique violemment la politique d'amitié et de coopération poursuivie entre nos deux pays.

Le chapitre 17 débute ainsi " la France et son armée sont de plus en plus gênés pour intervenir directement dans les conflits africains. Alors, elle considère l'armée tchadienne formée ou déformée par leurs soins, comme un réservoir de combattants ".

En page 69, à propos de divers événements, l'on lit " c'est l'armée française qui assure la logistique, comme on dit pudiquement, c'est à dire amène les tueurs à pied d'œuvre ".

L'auteur ne craint pas de reprocher à Monsieur le Président de la République française, Monsieur Jacques CHIRAC, de me recevoir, ainsi en page 634 : " Quant à Jacques CHIRAC, il trouvait tout normal, fin juillet 1998, de donner l'accolade à son collègue Déby sur le perron de l'Elysée ".

En page 166, ce même reproche, formulé implicitement, vise Monsieur le Premier Ministre, Monsieur Lionel JOSPIN : " par ce joli coup ; Déby se pose en pacificateur. Lionel JOSPIN le reçoit en Juin 1997. Il avalise là "démocratisation du Tchad" ".

Les exemples pourraient être multipliés où Monsieur François-Xavier VERSCHAVE s'attache à souiller la France, son premier dirigeant, son gouvernement, au motif pris des relations qu'ils entretiennent avec le Tchad et donc avec moi-même, présenté comme un dictateur criminel et affairiste. [...]


 


 

Extraits de la lettre d'Omar Bongo au ministre des Affaires étrangères

 

" [...] L'auteur me qualifie, en pages 45 et 46 de " parrain régional ", expression qui désigne un chef mafieux.

Cette expression est à nouveau utilisée pour me désigner en page 196 ; l'offense est ainsi renouvelée dans le même livre.

En page 56, l'auteur se citant lui-même, évoque " les régimes corrompus du Gabon, du Cameroun et de Guinée-Équatoriale... ". [...]

L'auteur maniant l'insulte comme s'il était sûr de l'impunité, écrit en page 443 " Les Déby, Sassou, Bongo, Compaoré, usent et abusent des frères français pour perpétuer leurs dictatures criminelles ou leurs démocratures prédatrices. "

En page 198, M. F-X. Verschave, à propos de l'élection présidentielle au Gabon explique : " Bongo n'est pas seulement devancé : selon des sources locales, les décomptes réels l'auraient carrément relégué en quatrième position ! Évincé du second tour, il trouve plus simple de se proclamer vainqueur du premier, avec 51% des voix... "

Enfin je relève en page 35 un dernier passage où l'auteur montre à nouveau l'usage pernicieux qu'il sait faire du conditionnel : " Elle recrute 25 sous-officiers français pour encadrer 600 soldats congolais. Ils monteront dès septembre des opérations commando dans les fiefs Ninjas. Le financement passerait par la banque FIBA, d'Elf et Bongo... ".

Ce passage me décrit comme ayant eu une participation active aux " horreurs planifiées à Brazzaville " (titre du chapitre) [...]


 

 


 

Le procès lu dans la Presse

 

 

 


 

Quelques extraits de la presse...


Les Inrockuptibles, 26 avril 2000, "Néo colonialisme "

La France entretient d'obscures relations avec ses anciennes colonies d'Afrique noire. Auteur de Noir silence, suite de la Françafrique, François-Xavier Verschave mène un travail de mise à nu de ce système néo-colonial, qui mêle intérêts douteux, argent sale et réseaux politico-mafieux. Il fait partie de ces obstinés qui mènent des luttes sans fin contre ce que certains appelleraient des moulins à vent. Engagé dans une lutte qui ressemble fort à celle de David contre Goliath, à la tête de l'association Survie, qui oeuvre pour le renouveau des relations franco-africaines, Verschave s'évertue à dénoncer les méfaits du système néo- colonialiste qui prèside aux destinées de l'Afrique.


La Françafrique et Noir silence, sont un condensé du travail de Survie. On comprend que tout le système françafricain repose sur une occultation permanente des enjeux véritables qui dominent les rapports franco-africains. Cette occultation s'appuie sur des freins politiques, mais aussi médiatiques.


Une récupération politico-médiatique du discours antiafricain, aujourd'hui toujours isolé, pourrait permettre à Survie de quitter ses oripeaux de Don Quichotte, à condition de ne pas renoncer aux lignes de conduite qui dictent la lutte et sous-tendent les livres de F.-X. Verschave "Il faut être suffisamment fort dans l'exigence pour que la récuperation se traduise par un changement".


Témoignage Chrétien, 4 mai 2000, "Le procureur de la Françafrique"

Une sorte de précis basé sur des informations recueillies par Survie sur les réseaux franco-africains et la politique non officielle, mais réelle, de la France en Afrique. Une lecture terrifiante pour ceux qui pensent que l'état français est enfin devenu l'ami de tous les Africains. "La politique africaine de la France est comme un iceberg, dit Verschave. Vous avez une partie officielle, immaculée, qui représente 10%. C'est la France des droits de l'homme et des grands discours. Mais la partie immergée, obscure, illégale, représente 90%.

La Françafrique, c'est la partie immergée de l'iceberg. Mais l'aide publique au développement existe quand même, argumente-t-on. "IL s'agit plutôt d'une aide secrète au contre- développement", répond Verschave, expliquant que plus un Etat africain non démocratique reçoit de l'aide française, moins cet Etat est performant dans l'utilisation de ses ressources pour améliorer le bien-être de la population.


Politis, 4 mai 2000, "La France complice de crimes contre l'humanité"

François-Xavier Verschave ne cesse de dénoncer l'implication de la France en Afrique. Son dernier livre constitue une somme sur le sujet.
François-Xavier Verschave et l'association Survie, vigilants, ne se contentent pas de dénoncer cette monstruosité politique qui a pour nom la Françafrique. Ils nous y promènent, comme en un contre-safari où les fauves ont des visages et des stratégies d'hommes avides de pouvoir et d'argent.

 

La Tribune, 04/07/02, "Les trois présidents africains déboutés "

La Cour d'appel de Paris a débouté le 3 juillet 2002 le président tchadien Deby, le président congolais Sassou Nguesso et le président gabonais Omar Bongo de leur procès pour "offense envers un chef d'État étranger", intenté aux auteurs et éditeur du livre Noir Silence.

Contrairement au jugement de première instance, la Cour ne juge pas le délit d'offense envers un chef d'état, incompatible avec la Convention européenne des droits de l'homme. Elle estime que les présidents ont été offensés mais que, compte tenu des éléments disponibles, l'auteur, François-Xavier Verschave, et Laurent Beccaria, directeur des éditions des arènes, devaient être reconnus de bonne foi.


 

Le procès vu par Bernard Langlois, "Politis" du 15 mars 2001


XVII E CHAMBRE (SUITE)

Nous avions laissé Verschave et Beccaria sur leur banc d'infamie, avec promesse de les y retrouver dès que possible : suite et fin, donc, du procès de Noir Silence - puisque c'est bien le contenu de ce livre-réquisitoire qui fait scandale, et à travers lui le néo-colonialisme français, la Françafrique -, un procès que les trois chefs d'Etat plaignants ont cru pouvoir provoquer sans réaliser qu'ils offraient ainsi une inestimable tribune à ses auteurs.

Eternelle bêtise de la censure. Trois jours de débats publics devant un tribunal français auront en effet permis aux militants de Survie, à leurs témoins, à leurs avocats, de braquer les projecteurs sur les crimes et les turpitudes de régimes sans foi ni loi qui ne se maintiennent que par la corruption et la terreur, hélas alliées à la complaisance de la République française. Quand un procureur, dans un réquisitoire d'une grande modération, déclare que la lecture du livre " lui a donné matière à réfléchir " et que son contenu lui a semblé, " pour l'essentiel, proche de la réalité ", on devrait pouvoir attendre avec confiance un jugement qui sera rendu le 16 avril prochain.

Serait-il contraire à ce qu'on est en droit d'espérer - la relaxe, pure et simple -, que l'essentiel serait néanmoins gagné : malgré une couverture a minima de la presse française (son embarras à traiter sérieusement de ces sujets est notoire, ce qui justifie le combat militant d'associations comme Survie), le noir silence est bel et bien rompu. Et l'écho des audiences se propagera, n'en doutez pas, dans les masses africaines. On aura tenté de discréditer le petit prof courageux de la banlieue lyonnaise qui, depuis des années, avec ses amis, mène le combat de sa vie au service de la vérité et de la justice : en vain.

Alors qu'au lendemain du procès, on annonçait la mise en examen de Jacques Attali, à la suite de celle du fils Mitterrand, dans la même affaire putride dite de l'Angolagate, il est heureux que les peuples d'Afrique sachent qu'il y a aussi des Français, des Verschave et des Beccaria, pour dénoncer les pourris qui s'engraissent de leur richesse et contribuent à leur désolation .
Mais n'anticipons pas.

LIRE VERSCHAVE

Impossible ici d'aller dans le détail.

Il faut absolument lire le livre de Verschave pour se faire une juste idée de la situation effroyable du Congo-Brazzaville, d'abord déchiré par une guerre civile sans merci, puis livré au bon plaisir de milices victorieuses dont les atrocités valent largement celles qu'on a reprochées à (par exemple) la Serbie de Milosevic au Kosovo, avec la sanction internationale que l'on sait. Sauf qu'au Congo, il n'y a pas de sanction et que le dictateur est toujours accepté et reçu dans le beau monde avec les égards d'un chef d'Etat respectable.

Il faut lire Verschave pour comprendre dans quelles conditions et circonstances la France a choisi de changer de cheval au Tchad et d'installer en lieu et place d'un chef de guerre sanguinaire un autre encore plus féroce, véritable tueur psychopathe auprès duquel Hannibal Lecter ferait figure de doux dingue inoffensif. Sauf qu'au Tchad, on est dans la vie réelle, pas au cinoche.

Il faut lire Noir Silence pour apprécier le rôle de " parrain " du continent africain du chef d'Etat gabonais, grand irrigateur des campagnes électorales françaises, grand maître des franc-maçonneries équatoriales, dont la seule présence parmi eux devrait faire rougir de honte tous les enfants de la Veuve, grand coadjuteur (avec les services, réseaux et officines français) de toutes les entreprises de déstabilisation, tous les complots et guerres civiles qui scandent la vie africaine, récemment réélu en son royaume lors d'un scrutin-mascarade (cautionné par une brochette de robins français !) qui rendraient crédibles les réélections triomphales de Saddam Hussein. Sauf que le maître de l'Irak est au ban des nations quand celui du Gabon reçoit le tout-Paris politique et affairiste dans sa suite de l'hôtel Crillon.

Denis Sassou Nguesso (Congo), Idriss Deby (Tchad), Omar Bongo (Gabon) : ah ! les beaux plaignants que voilà ! Et comme on souhaite que la justice française, nonobstant toutes les raisons d'Etat, les déboute et condamne aux dépens. En attendant que la justice internationale, un jour, les poursuive et condamne à la prison à vie.

On peut rêver, non ?

LE COURAGE DES TEMOINS

En attendant, chapeau bas. Chapeau devant ces hommes qui défilèrent à la barre pour dire que oui, bien sûr, M.Verschave a dit la vérité. Chapeau devant ses hommes, qui n'ignorent rien des risques qu'ils prennent, qui pour certains ont déjà payé le prix fort de leur opposition à des régimes innommables, qui vont regagner leur pays après avoir osé parler devant un tribunal français.

Je parle des témoins de la défense, il va de soi. Des témoins africains.

Pour la partie civile, nous entendîmes à la barre trois dignitaires du régime congolais, en tout et pour tout. Le premier, général de brigade, ancien " cobra " (les milices de Sassou) ; le deuxième, cousin du président et membre de son cabinet ; le troisième, un de ses anciens ministres. Comment les prendre au sérieux ?

Je parle des témoins de la défense (plus d'une vingtaine). Et parmi eux des témoins africains (une bonne moitié).

Benjamin Toungamani, par exemple. Biologiste, fondateur d'un parti d'opposition congolais, il joua un rôle important lors de la courte embellie de 1990-91 quand se tint cette Conférence nationale souveraine (sorte d'Etats généraux) qui tenta de mettre le pays sur des rails démocratiques : c'était, on s'en souvient, suite au fameux discours du sommet de La Baule, où Mitterrand conditionnait l'aide française à l'avènement du multipartisme. Bonnes intentions, pour paver l'enfer ... Chirac, déjà, jugeait la démocratie, le multipartisme, " inadaptés " à la situation africaine ! Le témoin confirme que les accusations dont Sassou est l'objet (notamment sa probable complicité dans l'attentat contre le DC 10 d'UTA en 1989) ont bien été formulées et publiquement débattues lors de la Conférence et au sein de la commission d'enquête sur les crimes impunis. Non seulement Sassou, encore en place à l'époque (il sera bientôt remplacé par Lissouba, préparera sa revanche en exil à Paris et reviendra par la force en 98, les Congolais disent : Sassou I et Sassou II, pour distinguer les deux périodes), Sassou I donc, en fin de règne, fragilisé, ne démentira rien, fera même un beau discours disant qu'il " assume " tout. Ce qu'écrit Verschave est donc du domaine public. Mais le Sassou d'aujourd'hui, le Sassou II revenu triomphant au prix d'un monceau de cadavres, n'assume plus rien du tout. Et la constitution de 1992 (" boîteuse, sans doute - dit Toungamani -, mais la seule que nous ayons jamais adopté démocratiquement ") ne protège plus un peuple soumis au pillage, à la terreur, à la violence ...

Effarant, le récit de ce prêtre, Georges Kimbembe, témoin direct des massacres et des viols en série de la région du Pool : on a même utilisé des hélicos au sigle de l'ONU pour faire sortir les hordes de réfugiés affamés des forêts où ils se cachaient pour ensuite les mitrailler à loisir ...

Eclairant, le témoignage de Patrice Yengo, universitaire congolais, qui parle de " politique de la terre brûlée ", qui explique les raisons du caractère tribal des affrontements en Afrique, ces chefs de guerre ayant " besoin d'une mobilisation ethnique pour suppléer l'absence de toute base sociale ".

Bouleversante, la prestation de M. Yorongar - député tchadien qui comparaît en fauteuil roulant, le dos brisé par les tortures subies - qui décrit le régime de terreur régnant dans son pays, qui confirme que Déby " tuait déjà en petites culottes " (meurtre d'un condisciple au lycée), qu'il est au cœur d'un trafic de fausse monnaie. Et qui conclut : " Dans mon pays, on me surnomme "Cabri mort", je n'ai pas peur du couteau ... "

Brillant, l'exposé de Mongo Betti, professeur retraité, libraire à Yaoundé, qui démonte devant la Cour le " système Bongo ", parle d'association maffieuse, de syndicat du crime ...

Il faudrait les citer tous. Parler aussi des témoins français (élus, journalistes, experts, militants associatifs) qui ont éclairé les débats. Tous, Africains et Français, convergent dans la description d'un système néo-colonial bien huilé (c'est le cas de le dire !) et reposant sur ce trépied dit " des trois E " : Elysée, Etat-Major, Elf. " Françafrique, le concept est tout à fait pertinent - dira Betti -, c'est bien une invention française, il n'y a pas d'Angloafrique ... "

UNE DEFENSE EN BETON

Parce qu'il faut bien conclure, on ne dira que quelques mots d'une défense superbe, en béton (1).

En face d'un Vergès et de ses deux acolytes peu inspirés (dont une pitoyable Sénégalaise), défendant mécaniquement leurs richissimes clients, n'hésitant pas à salir les prévenus suspectés de vouloir " s'en mettre plein les poches " (2) avec " un mauvais roman " écrit " dans le style de Gringoire " (!), les quatre défenseurs de Verschave et Beccaria ont opposé un front sans faille, en très bons professionnels, dont on ne peut douter qu'ils sont aussi hommes de conviction.

On n'en attendait pas moins d'Antoine Comte, qu'on connaît bien (il fut l'efficace avocat de Politis, dans plusieurs procès de presse). On a découvert William Bourdon et Vincent Toledano, ses jeunes confrères, qui plaidèrent avec talent un dossier parfaitement maîtrisé.

Ils ne m'en voudront pas de donner ici la vedette à leur confrère camerounais, Me Francis N'Thepe, qui plaida sans emphase, mais avec son cœur, ses tripes d'Africain, convoquant devant la cour la longue cohorte de tous ces " témoins invisibles ", toutes les victimes des tyrans protégés par l'ancienne puissance coloniale, choisis par elle au sein d'ethnies minoritaires mais soumises à son égard. Ni Bongo, ni Sassou, encore moins Déby n'auraient la moindre chance d'être régulièrement élus par des peuples qui les considèrent comme des collabos, explique-t-il. D'où ces " guerres d'élimination " qu'ils livrent aux tribus majoritaires. Car " la politique africaine est indétachable du fait ethnique ", instrumentalisé par le colonisateur. Et en l'entendant décrire cette évidence trop souvent niée (il existe, dira-t-il, " une sorte de révisionnisme africain "), on pense avec tristesse au jeune avocat que fut Jacques Vergès et à l'homme qu'il est devenu ...

" Ce procès n'est pas vécu, en Afrique, comme celui de M.Verschave - a encore dit Me N'Thepe -, mais bien comme celui de trois chefs d'Etat africains qui font le malheur de leurs peuples. C'en est fini de l'Afrique des années 50, qui comptait à peine quelques dizaines de bacheliers. Nos peuples ont acquis un niveau d'instruction et de conscience plus élevé. Ils aspirent, eux aussi, à la démocratie, à la philosophie des Lumières. Les "trois E" doivent le comprendre. Qu'ils prennent désormais pour partenaires des interlocuteurs qui soient des hommes propres. C'est tout cela, toutes ces souffrances, mais aussi cette exigence universelle pour le progressisme, la lumière que je viens déposer sur votre chaire ... " Une plaidoirie d'une grande noblesse, vraiment.

DEUX ONCLES

Les derniers mots furent ceux des prévenus. Verschave, au bord des larmes, pour dire comme il avait été blessé par l'accusation de malhonnêteté qu'on avait osé lui faire. " Une accusation qui atteint tous les militants de Survie, alors même que le fondement de notre travail est de savoir discerner la qualité des hommes dont nous rassemblons les témoignages. " Beccaria pour raconter à la Cour " une histoire personnelle ". Il avait deux oncles. L'un a fait une brillante carrière de haut magistrat, il est vice-président du Conseil d'Etat (il s'agit de Renaud de Saint-Marc, NDLR). L'autre s'est pris de passion pour l'Afrique. Il travaillait dans le pétrole, mais dans la sphère anglophone, tant " il avait honte d'être Français ". Il s'est efforcé de développer des infrastructures africaines, de passer le relais à des cadres africains, pris des risques personnels. Il devait rentrer en France, à l'heure de sa retraite, le 19 septembre 1989.

" Il avait pris place à bord du DC 10 d'UTA qui s'est écrasé dans le désert nigérien " (171 morts).


On ne manquait pas de place dans cet avion : une dizaine de passagers inscrits avaient annulé leur réservation. Des proches du président congolais Denis Sassou Nguesso.

" Les tyrans dorment dans le crime. " (Saint-Just, cité par Antoine Comte).


Bernard Langlois


 

(1) L'intégralité des débats, pris en sténo, doit faire l'objet d'un prochain livre aux éditions des Arênes. Il ne faudra pas manquer cela !
(2) Rappelons que l'intégralité des droits d'auteur va à l'association Survie.

 

 


 

 

Le Jugement




République française
Au nom au Peuple français
Tribunal de grande instance de Paris
17e chambre – Chambre de la Presse
Jugement du : 25 avril 20011


N° d’affaire : 0019304155 et 0021003645


[…]
Le 28 février 2001, les débats se sont ouverts en présence des prévenus Laurent Beccaria et François-Xavier Verschave, assistés de leurs conseils respectifs, Laurent Beccaria représentant en outre la société éditrice, civilement responsable ; les présidents El Hadj Omar Bongo, Idriss Deby et Denis Sassou Nguesso se sont constitués parties civiles par la voie de leurs avocats, qui les représentaient.

Avant toute défense au fond, les conseils des prévenus ont déposé des conclusions d’exceptions et d’incidents relatives à la procédure ; après débat contradictoire, le ministère public entendu, ces incidents ont été joints au fond, la défense ayant eu la parole en dernier, et les débats se sont poursuivis.
[…]

Sur l’exception tirée de l’incompatibilité des dispositions de l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 avec celles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme :

Les prévenus soutiennent également que les dispositions de l’article 36 de la loi sur la presse, qui incriminent et répriment l’offense commise publiquement envers un chef d’État étranger, et fondent la poursuite, sont incompatibles avec celles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
Le conseil de Laurent Beccaria soutient d’abord que l’article 36 viole l’article 10 de la Convention, car :

– si l’article 10-2 de ladite Convention autorise des restrictions ou sanctions à la liberté d’expression, celles-ci doivent être " prévues par la loi " : or l’article 36 de la loi de 1881 a été introduit dans ce texte, en sa rédaction actuelle, par un décret-loi du 30 octobre 1935, qui ne saurait avoir force de loi car il procédait des pouvoirs exceptionnels donnés au gouvernement par la loi du 8 janvier 1935, " en vue d’éviter la dévaluation de la monnaie, pour lutter contre la spéculation et défendre le franc " (soit un but totalement étranger à celui de l’article 36), et n’avait fait l’objet d’aucune publication à la date d’expiration de ces pouvoirs exceptionnels, soit au 31 octobre 1935 ;

– il ne poursuit pas un " but légitime ", au sens de la Convention, car si la cour de Cassation (Cass. 2e Civ., 28 septembre 2000) a jugé que le délit répondait au souci du législateur de faciliter les relations internationales de la France en accordant à des hauts responsables politiques étrangers une protection particulière, cet objet ne correspondait en rien au but poursuivi par la loi du 8 juin 1935, qui était d’ordre économique et financier ;

– l’article 36 n’est pas " nécessaire dans une société démocratique ", au sens de la Convention, car d’autres dispositions du droit interne protègent déjà les droits des personnes mises en cause, notamment par la répression de la diffamation et de l’injure.

Le conseil de Laurent Beccaria fait aussi valoir que l’article 36 viole l’article 6 de la Convention, car il porte atteinte au principe d’égalité des armes entre les parties, en permettant à la partie poursuivante, du fait de la généralité et de l’imprécision de la notion d’" offense ", de procéder à une qualification cumulative d’écrits relevant soit de la diffamation, soit de l’injure, soit encore de l’outrage, sans avoir à les distinguer d’aucune manière, ce qui constitue un avantage, et en interdisant ainsi à la défense de s’organiser, et de répliquer par des moyens appropriés, alors que la poursuite de droit commun en diffamation permet de rapporter la preuve de la vérité, des faits diffamatoires, ou que la poursuite pour injure permet au prévenu d’exciper de la provocation.

Les conseils du prévenu François-Xavier Verschave soutiennent, quant à eux :

– que les motifs qui ont conduit les juridictions du fond, et dernièrement la cour de Cassation (Cass. Crim., 20 février 2001) à écarter l’application de l’article 38 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 sont transposables à l’article 36 ;

– que l’incrimination de l’offense envers un chef d’État étranger, même rapprochée de celle de l’offense envers le Président de la République, prévue à 1’article 26, et interprétée par la jurisprudence, demeure particulièrement vague et imprécise, et notamment n’autorise pas une distinction claire entre la critique portant sur les actes politiques d’un chef d’État – qui serait licite – et la critique portant sur l’auteur de ces actes – qui serait illicite – en l’état d’une jurisprudence qui affirme que " l’offense adressée à l’occasion des actes politiques atteint nécessairement la personne " ;

– que la survivance de l’article 36, qui procède de la volonté de placer les chefs d’État étrangers à l’abri de toute controverse ou polémique, n’est plus en accord avec l’évolution du droit international public, qui tend au contraire à restreindre les immunités dont bénéficient les chefs d’État ;

– que selon la jurisprudence très ferme de la Cour européenne des droits de l’homme, la liberté d’expression constitue l’un des fondements d’une société démocratique, qu’elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur, on considérées comme inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent, et que seul un besoin social impérieux peut justifier l’ingérence de l’autorité publique dans son exercice.

Les conseils des parties civiles soutiennent :
– qu’en l’état actuel des textes, celles-ci ne pouvaient fonder leur action que sur l’article 36 ;
– que ce texte, qui organise une protection spécifique de certaines personnes, n’est pas exceptionnel dans la loi sur la presse, et ne procède pas d’un esprit différent de celui qui justifie les articles 26, 30 ou 31 de cette loi ;
– qu’à la différence de l’article 38, il ne pose pas une interdiction de publier, qui heurte l’article 10 de la Convention, mais institue seulement une limite à la liberté d’expression ;
– que la poursuite sur le fondement de l’article 36 ne prive pas le prévenu de tout moyen de défense, car ce texte ne pose pas une présomption de mauvaise foi, et la preuve de la vérité des allégations est toujours de nature à exonérer le prévenu de toute culpabilité ;
– que les critiques développées par la défense à l’égard du texte visent bien davantage l’application qui en est faite par la jurisprudence, que son existence même.

Le ministère public conclut également à la compatibilité de l’article 36 avec la Convention européenne, en soulignant que ce texte réprime avant tout une atteinte à la personne, et que la bonne foi exonératoire peut toujours être démontrée.

Sur quoi le tribunal :

I) L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales proclame, en son alinéa 1er, que toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques, et " sans considération de frontière ".
Ce texte prévoit, en son second paragraphe, que l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions " prévues par la loi " qui constituent des " mesures nécessaires, dans une société démocratique ", à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Selon la jurisprudence, l’incrimination prévue par l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne précisément des comportements portant atteinte à l’ordre public, notamment en ce qui concerne les relations diplomatiques, et aux droits et à la réputation des individus, et n’excède pas, dès lors, les limites fixées par le second paragraphe de l’article 10 de la Convention (Cass. Crim., 22 juin 1999 ; Cass. Civ. 2e chambre, 28 septembre 2000).

À l’issue des débats dans la présente affaire, le tribunal considère cependant que l’incrimination posée par l’article 36 de la loi sur la presse, et son application par la jurisprudence, ne satisfont pas à l’ensemble des exigences prévues par l’article 10 de la Convention :

1°) Celui-ci pose en principe que la liberté de communiquer des informations ou des idées doit s’exercer " sans considération de frontière ".
Or l’article 36 de la loi de 1881 protège les chefs d’État étrangers contre les offenses publiques, en instituant en leur faveur un régime exorbitant du droit commun, recourant à une définition particulièrement large des comportements incriminés, et excluant tout débat sur la preuve de la vérité des faits allégués, au point que la doctrine s’accorde à dire que les chefs d’État étrangers bénéficient, en France, d’une protection supérieure à celle concernant le chef de l’État français lui-même ou le chef du gouvernement français. Ce régime dérogatoire apparaît de nature à faire obstacle à la libre circulation des informations et des idées, " sans considération de frontière ", puisque l’expression, en France, d’opinions concernant une personnalité étrangère, ou des actes de celle-ci, se trouve, ainsi, spécialement limitée.

2°) Les restrictions ou sanctions prévues par l’alinéa 2 de 1’article 10 doivent être " prévues par la loi ". En effet, la possibilité pour chacun d’apprécier par avance la légalité de son comportement, touchant à l’exercice des libertés essentielles, implique une formulation rigoureuse des incriminations, et ne saurait résulter que de définitions légales claires et précises. Au cas présent, 1’" offense " incriminée par l’article 36 n’est pas définie par la loi, et correspond à une formule évasive, d’interprétation malaisée.
La notion d’" offense " a été précisée, en l’état des quelques décisions rendues en la matière, et par référence à la jurisprudence concernant l’application de l’article 26, incriminant l’offense envers le Président de la République, comme " toute expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire ou injurieuse, qui, tant à l’occasion de l’exercice des fonctions que de la vie privée, sont de nature à atteindre un chef d’État étranger dans son honneur, sa dignité ou la délicatesse de ses sentiments".
Force est de constater que cette formulation, très générale, introduit une large marge d’appréciation subjective dans la définition de l’élément légal de l’infraction, et ne permet pas à celui qui envisage de procéder à une publication d’être certain qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’interdit.

Il convient d’ajouter :

– que si la doctrine s’efforce d’établir une distinction entre la critique acceptable – celle qui vise les actes politiques du chef d’État étranger – et l’offense condamnable – celle qui est dirigée contre la personne même de celui-ci –, la jurisprudence dominante traduit la difficulté de mise en œuvre d’un tel critère, qui sauvegarderait la liberté d’expression, puisqu’elle affirme, le plus souvent, que " l’offense adressée à l’occasion des actes politiques atteint nécessairement la personne " ;

– qu’une pareille difficulté persiste quant à l’intention requise pour constituer le délit, puisque la doctrine affirme, majoritairement, que l’intention doit être présumée, comme en matière de diffamation, alors que la cour de Cassation décide au contraire que l’intention d’offenser doit être spécialement retenue en cas de condamnation, et que les juridictions du fond retiennent le plus souvent que l’intention coupable résulte directement de la nécessaire conscience par le prévenu du caractère offensant des propos tenus (par ex. : CA d’Aix-en-Provence, 8 juin 1995 ; T. Corr. de Paris, 17e, 23 janvier 1998).

Ainsi, ces ambiguïtés rendent aléatoire l’interprétation du texte faite par le juge selon les cas d’espèce, et conduisent à conclure que la rédaction de l’article 36 n’offre pas de garanties réelles quant à la prévisibilité des poursuites.

3°) Les restrictions ou sanctions autorisées par l’article 10-2 de la Convention doivent constituer des " mesures nécessaires ", " dans une société démocratique ", à la préservation des valeurs énumérées par le texte.

À cet égard, il convient d’observer :

– que la loi du 29 juillet 1881 réprime de manière générale et suffisante les diffamations et les injures, sans faire obstacle à la libre critique du comportement des hommes publics, et le droit en vigueur permet à tout chef d’État étranger de faire entendre sa cause équitablement soit par le juge pénal, soit par le juge civil ; la protection spéciale de l’article 36 ne répond donc pas à un besoin social impérieux, qui ne pourrait être satisfait par les institutions existantes ;

– qu’en présence d’une évolution du droit international public soulignée à juste titre par la défense, qui consacre, dans la perspective d’une communauté de plus en plus large de valeurs, fondées sur les droits de l’homme et reconnues par l’ensemble des sociétés démocratiques, l’existence d’un véritable droit de regard sur les conditions de vie des peuples, sans considération de frontières, il n’apparaît plus envisageable de reconnaître aux chefs d’État étrangers un statut exorbitant par rapport au principe de liberté d’expression, interdisant tout examen critique de leur comportement ; 1’" ordre public ", concernant les relations diplomatiques de la France, ne saurait justifier, de nos jours, le maintien d’un dispositif contingent, qui n’est donc plus " nécessaire, dans une société démocratique ", au sens de la Convention.

II) L’article 6 de la Convention proclame le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement ; cette exigence fonde le principe d’égalité des armes entre les parties.

Comme le souligne la défense, la qualification générale et imprécise d’offense, et l’interdiction qui est faite au prévenu de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires, contreviennent à ce principe :

a) En permettant à la partie poursuivante de qualifier d’" offense ", de manière générique, des faits qui constituent, en droit commun de la presse, des infractions de nature différente, obéissant à des régimes juridiques distincts, l’article 36 interdit à la défense de choisir des moyens de réplique adaptés, alors même que les articles 50 et 53 de la loi de 1881 font de la précision des accusations l’une des pierres angulaires du procès de presse, et de sa loyauté.

b) En privant le prévenu du droit de rapporter la preuve de la vérité des faits allégués, qui constitue un élément essentiel de la liberté d’expression, l’article 36 place nécessairement celui-ci dans une situation inéquitable par rapport à l’accusation, en lui interdisant toute possibilité de débat sur le terrain le plus pertinent, et le plus valorisant qu’il puisse espérer, et en ne lui assurant pas l’égalité des armes, que le maintien de la présomption de bonne foi ne suffit pas à garantir.

En l’état de ces constatations, il apparaît que l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 est incompatible avec les articles 6 et 10 de la Convention européenne.


PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Laurent Beccaria, François-Xavier Verschave, prévenus, à l’égard de la société Éditions les Arènes, civilement responsable, à l’égard de Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo et Idriss Deby, parties civiles, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Prononce la jonction de la procédure 0021003645 à la procédure 0019304155.
Rejette l’exception de prescription de l’action publique.
Rejette l’exception d’irrecevabilité des constitutions de partie civile.
Rejette l’exception tirée de la nullité des plaintes déposées par MM. Deby et Sassou Nguesso.
Rejette l’exception tirée de l’irrégularité de la saisine du tribunal.
Constate que l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse est incompatible avec les dispositions des articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

En conséquence,

Renvoie les prévenus Laurent Beccaria et François-Xavier Verschave des fins de la poursuite.
Déboute les parties civiles de leurs demandes.

Aux audiences des 28 février, 6 et 7 mars 2001 et 25 avril 2001, 17e chambre – Chambre de la Presse, le tribunal était composé de :
Président : M. Jean-Yves Monfort.
Assesseurs : Mme Catherine Bezio, vice-président ; Mme Marie-Françoise Soulie, juge (lors des débats) ; Mme Isabelle Pulver, juge (lors du prononcé).
Ministère public : M. Lionel Bounan, substitut (lors des débats) ; Mme Béatrice Angelleli, substitut (lors du prononcé).
Greffier : Mme Martine Vail, greffier.

 

 

 

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