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Mercenaires : Le projet de loi allégé a été adopté

Rappel : le projet de loi

 

Campagne pour la ratification de la Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires.

Le 4 décembre 1989, l’Assemblée Générale des Nations unies a adopté la Convention internationale contre l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires. Ratifiée à ce jour par 19 États, dont un seul État occidental (l’Italie), elle ne pourra entrer en vigueur qu’après la ratification de 22 États.

Face à la recrudescence des opérations mercenaires et face au phénomène de privatisation de la guerre, il est urgent que la France ratifie cette Convention et qu’elle utilise son influence diplomatique pour convaincre d’autres États de faire de même.

Survie a engagé plusieurs années une campagne "mercenaires" afin que la France ratifie cette Convention
Cette campagne a connu un nouvel élan du fait de l'inscription d'un projet de loi présenté par Alain Richard, ancien ministre de la défense sous le gouvernement Jospin, en avril 2000.

Mercenaires : Halte là !

Un mercenaire, qu’est ce que c’est ?

Un mercenaire n'est pas un soldat. Il n'appartient pas à l’armée régulière d'un État. C’est un individu qui reçoit un salaire (nettement supérieur à celui des combattants réguliers) pour participer à un conflit (ou aux multiples actions qui précèdent, accompa­gnent, influencent, approvisionnent un conflit, ou lui sont consécutives).

Selon l’article I de la Convention, c’est une personne “ qui n’a pas été envoyée par un État en mission officielle ”.

Il relève de lui-même et de ses intérêts propres, éventuellement de ceux de l’entreprise qui le paye, ou d’un commanditaire masqué - souvent l'État dont il est le ressortissant, et dont il est le “sous-traitant". Certaines mises en scène[1], cherchent à les rendre sympathiques : elles soulignent leur look d’aventuriers -"corsaires de la République" selon l’expression de Bob Denard, qui n’apprécie pas qu’on appelle un chat un chat et qu’on le qualifie de mercenaire[2].

Pour autant, loin d’être les courageux baroudeurs qu’on veut bien nous présenter, ce sont le plus souvent des criminels aux idéologies fasciste et raciste[3] à qui l’État fait appel pour les opérations armées inavouables. Ils agissent généralement en toute impunité et, pour la plupart, ne reculent devant aucune cruauté. Ils se sont largement illustrés par leurs exactions et leurs actes criminels (massacres de civils, viols, torture, assas­sinats…) sur les champs de bataille du monde entier - et parti­culièrement sur le continent africain.

Pourquoi faut-il ratifier d’urgence la Convention ?

Le préambule de la Convention de 1989 déclare que “ le recru­tement, l’utilisation, le financement, et l’instruction de mer­cenaires doivent être considérés comme des infractions qui préoccupent vivement tous les États et que toute personne ayant commis l’une quelconque de ces infractions doit être traduite en justice ou extradée. ”

Or, pour certains des États en question, le recours aux merce­naires est une vieille habitude qui tendrait même à se déve­lopper. Depuis quelques années, on observe une recrudescence des opérations mercenaires, singulièrement en Afrique. Elle va de pair avec une “privatisation” de la guerre (c’est à dire l’intervention d’entreprises privées dans des domaines norma­lement dévolus à l’État, la sécurité et le militaire). Ce phénomène arrange bien des pays comme la France et les États-Unis : cela permet de réduire l'interventionnisme officiel pour le développer en sous-main.


Au lieu d’envoyer leurs propres soldats (ce qui manque de discrétion), ils délèguent les opérations militaires à des hommes de mains ou des entreprises dites "de sécurité". Ces pays peu­vent ainsi s'absoudre des crimes de leurs sous-traitants, et afficher leur haute moralité.

On assiste aujourd'hui à la création d'entreprises puissantes (dont certaines sont de véritables multinationales), qui sont capables de susciter un conflit si besoin est, de se battre simultanément dans tous les camps en guerre, de fournir armes, logistique, renseignements, moyens de communication, dispo­sitifs sanitaires et médicaux, voire un peu d'action humanitaire pour fermer le ban. Elles s'octroieraient volontiers la vocation d'intervenir dans les négociations entre parties à l'issue de combats ; elles ambitionnent de se voir reconnaître peu à peu par les organisations internationales comme partenaires indis­pensables. Des sortes d'ONG d'un nouveau type, en somme, capables de produire des drames clefs en mains.

Outre le conglomérat regroupant le grand précurseur sud-africain Executive Outcomes (EXO) et la britannique Sandline (impliqués notamment dans le conflit sierra-léonais), les entre­prises les plus importantes engagées dans ces activités sont américaines (MPRI, Military Professional Resources inc, Vinnel Corporation et Wackenhut), britanniques (Defence System Ltd, fusionné avec l'américain Armor Holdings), israé­lienne (Levdan) ou encore belgo-néerlandaise (IDAS, International Defence and Security). Les sociétés françaises, bien que de taille souvent plus modeste, sont bien présentes sur le marché (Africa Secu­rity, Iris services, Securance, Eric S.A, Geos…etc.).

Le recours de plus en plus fréquent à ces compagnies privées et l’absence de cadre législatif pour les contrôler représente un danger considérable.

“ La richesse des sous-sols de certains pays africains tels que l’Angola, la Sierra Leone et la RDC [Congo-Kinshasa] conjuguée à un contexte d’instabilité politique, sociale et économique dans ces mêmes pays, constituent des circonstances propices au foisonnement des compagnies de sécurité. ” [4]

Les sociétés minières ou pétrolières (tout comme les États) qui ont recours à ces entreprises ne se soucient guère des crimes qu’elles peuvent commettre bien que de nombreux récits fassent état de violences perpétrées contre des civils dans des régions où ces sociétés interviennent : “ Des mercenaires commettent souvent des attentats, des sabotages, des actes de terrorisme et de torture… ” [5]

Comme l’expliquait Jean-François Bayart : “ L’intervention des privés […] transforme l’enjeu politique de la paix civile en enjeu commercial, ouvert à la concurrence […] On voit mal l’intérêt que les privés de la sécurité trouveraient dans le maintien d’une paix perpétuelle qui les écarterait d’un marché si lucratif. ” [6]

En l'absence d'une législation internationale contraignante interdisant les activités mercenaires, la fuite en avant dans ce champ d'activités est une certitude.

Il est impératif que la France s’engage

Pendant quatre décennies, la cellule africaine de l'Élysée créée par Jacques Foccart, a multiplié les interventions masquées par l’utilisation de mercenaires.

“ La stratégie de Jacques Foccart avait pour objectifs la défense agressive du “pré carré” français en Afrique, et son extension si l’occasion s’en présentait. Bob Denard, sa bande et leurs semblables y ont joué un rôle essentiel. Ils permettaient à tout moment de fouler aux pieds l’indépendance des ex-colonies et des pays voisins, ce qu’un pays “civilisé”, membre du Conseil de sécurité des Nations unies, ne pouvait s’autoriser officiel­lement. ”[7]

Nous pourrions citer d’innombrables exemples mais nous nous limiterons à quelques-uns. Dès les années soixante au Zaïre, la France a envoyé ses mercenaires pour soutenir la rébellion katangaise de Moïse Tshombé et permettre à une riche province minière de se détacher d’un pays tout récemment indépendant et fragile. Au Biafra en 1967, les mercenaires français sont intervenus pour entretenir une guerre ayant pour but de miner le Nigeria, géant anglo-saxon. Cette intervention a eu pour conséquence directe le prolongement de la guerre civile et de la famine provoquant la mort de centaines de milliers de Biafrais.

Des mercenaires ont été envoyés au Rwanda pour soutenir le camp des génocidaires, pendant et après le génocide, au mépris de l’embargo international du 17 mai 1994 interdisant tout envoi étranger en armes ou en hommes au Rwanda.

Dans la même veine, la France a recruté des criminels de guerre, ou des sbires d’extrême droite pour ces opérations offi­cieuses. Pour tenter de sauver le régime Mobutu au Congo Kinshasa en 1996, des mercenaires serbes auraient été recrutés avec l'aval de l'Élysée, par la filière de l’ex- préfet du Var et pro­che de Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani. “ Quelques-uns des mercenaires serbes envoyés au Zaïre étaient donc des tueurs de Srebrenica, recherchés par le Tribunal international de La Haye ”.[8] Commandés par le sinistre colonel "Dominic Yugo", ils laissent derrière eux des souvenirs de tueries et de viols, avant de se replier à Gdabolite, le sanctuaire du clan Mobutu. Rencontrant en mai 1997 un journaliste du Monde, le chef de la phalange serbe lance : “ Je suis serbe mais aussi français. Interrogez la place Beauvau [siège du ministère de l’Intérieur français], ils savent qui je suis. ”

La France n’hésitera pas à utiliser le même genre d'hommes en août 1999 au Congo- Brazzaville pour soutenir les milices du président Sassou Nguesso, qui a repris le pouvoir par un coup d’État (avec la bénédiction et l’aide de la France) et qui tente de s’y maintenir par la force quel qu’en soit le prix pour le peuple congolais.

Le tout financé par le contribuable français…

Les criminels qui agissent pour notre compte jouissent à ce jour d’une totale impunité. C’est le cas de Bob Denard (sans conteste le plus célèbre des "affreux" français qui, depuis les "indépendances", a été de tous les coups fourrés français en Afrique - du Zaïre aux Comores en passant par le Bénin ou le Biafra…).

“ Toutes les opérations menées par Denard ont eu l’assentiment de ses services ou de la cellule africaine de l’Élysée ”. "Contrôlés" et protégés par la France[9], Denard et ses lieutenants Dominique Malacrino et Jean Paul Guerrier ont été acquittés par la Cour d’Assises pour absence de preuve alors qu’ils étaient accusés de l’assassinat du président comorien Ahmed Abdallah en novembre 1989. Guerrier est aussi soupçonné d'avoir assas­siné Dulcie September, représentante de l’ANC (le parti de Nelson Mandela), abattue à Paris le 29 mars 1988. L’information judiciaire ouverte sur cette affaire s’est soldée par un non-lieu en 1992.

Réagir ! ! !

Certains de nos députés ont pris conscience de l’urgente nécessité de mettre en place un contrôle juridique des activités mercenaires. Dans le courant de l’été 1999, le député com­muniste André Gérin a posé une question écrite au ministre des Affaires étrangères sur la position de la France concernant la ratification de la Convention.

Dans sa réponse, Hubert Védrine a souligné que la Convention ne tenait que “ partiellement compte des positions défendues par la France et d'autres pays occidentaux ” et qu’une concer­tation entre administrations était en cours pour “ déterminer si notre pays peut envisager d'adhérer à cette Convention, le cas échéant en for­mulant des déclarations interprétatives ou des réserves ”.

Jack Lang, alors président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée Nationale a interpellé Hubert Védrine le 6 septembre 1999 pour savoir si oui ou non la France avait l’intention de déposer les instruments de ratification de la Convention. À la suite de ces interventions, Survie a envoyé une lettre ouverte au ministre des Affaires étrangères le 27 octobre 1999, restée sans réponse à ce jour.

Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération, a déclaré à Jeune Afrique au début du mois de décembre dernier : “ Je tiens à dire […] qu’aucun militaire français n’est impliqué sur le terrain congolais (le Congo-Brazzaville) […] De nombreux mercenaires, parmi lesquels des français […] suscitent la confusion en portant parfois un uniforme qui ressemble à celui qu’ils ont porté hier. ”

Un commentaire qui sonne comme un aveu : en effet de nom­breux mercenaires français sont des soldats qui ont démissionné la veille de leur envoi en mission et qui réintègrent l’armée sitôt cette mission terminée. À moins de se transformer en faux retraités de l’armée française.

Voilà vingt ans que cette Convention est en gestation et pendant ce temps les mercenaires en tout genre ne se sont que trop illustrés dans des actes de barbarie à travers le monde et plus particulièrement en Afrique.

Parce que le phénomène de privatisation de la guerre est une garantie d’impunité pour les acteurs comme pour les comman­ditaires, nous vous proposons aujourd'hui de faire appel au Président de la République, au Premier Ministre et à votre député pour demander que :

- la France ratifie d’urgence la Convention pour le bannissement du mercenariat

- la France utilise son influence diplomatique pour que le nombre nécessaire de ratifications soit atteint au plus tôt et que s’im­posent enfin les principes énoncés par la Convention.

Bien sûr la Convention n’est pas la "réponse miracle" face à la montée en puissance des entreprises de sécurité et du recours au mercenariat (elle a ses limites, notamment la définition trop lâche du terme mercenaire et l’absence de sanctions prévues). Elle représente, toutefois, le premier pas nécessaire vers la criminalisation internationale du mercenariat et la disqualification politique de ceux qui en profitent pour masquer leurs responsabilités.

Nous appelons notre pays à s’engager dans ce combat.


 

[1] Comme dans l’émission ça se discute sur France 2, le 3 mars 1998.

[2] Libération du 04/02/1999.

[3] Le Monde du 31/03/1997.

[4] Vers une spirale de la violence ? Les dangers de la privatisation de la gestion du risque des investissements en Afrique, les activités minières et l’emploi de compagnies privées de sécurité, Rapport présenté par la table de concertation sur les droits humains au Congo-Kinshasa, Développement et Paix, et Mining Watch Canada, mars 2000.

[5] Idem.

[6] J.F. Bayart, Croissance, juin 1998.

[7] F.X Verschave, Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique?, Les Arènes, 2000, p. 320

[8] C. Braeckman, L’enjeu congolais. L’Afrique centrale après Mobutu, Fayard 1999, p. 116

[9] Libération du 11/05/1999.

Lire aussi:

Agir ici et Survie, Trafics, barbouzes et compagnies…, L’Harmattan, 1999

P. Chapleau, F. Misser, Mercenaires S.A., Desclée de Brouwer, 1998

F.X Verschave, La Françafrique, le plus long scandale de la République, Stock, 1998

 

 

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