Billets d'Afrique
et d'ailleurs...
Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines.
N° 114. Mai 2003.
Fausses notes
- Le projet de loi réprimant l'activité de mercenaire
a été adopté comme prévu le 3 avril, avec
toutes les garanties de non-mise en cause des ingérences barbouzardes
françaises. Le rapporteur UMP, Marc Joulaud, est tout à
fait explicite : " ce texte ne règle que le problème
du mercenariat "à la papa". Mais tout le monde souhaite
qu'il reste limité à cet aspect. " (Le Monde, 05/04).
Doté de cette loi, le gouvernement français ne prendra de
mesures que contre les mercenaires qui gênent son action, et continuera
d'avoir recours à des mercenaires "contrôlables"
pour ses basses uvres françafricaines. On saura seulement
que tous les mercenaires français non poursuivis par la justice
sont aux ordres de Paris
Discussion et adoption à l'Assemblée nationale
du projet de loi sur la
RÉPRESSION DE L'ACTIVITÉ DE MERCENAIRE
Compte rendu analytique officiel, 3 avril 2003
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense :
[
] La France se devait de réagir contre le développement
du mercenariat, en se dotant d'une législation équilibrée.
Le mercenariat est en effet un phénomène dangereux. Il pérennise
des situations de crise dans les États les plus fragiles. [
]
La France, qui uvre pour la stabilité et la paix, notamment
en Afrique, a donc le devoir de combattre le mercenariat. C'est sa crédibilité
qui est en jeu.
Toutefois, la France souhaite appréhender ce phénomène
de façon mesurée et réaliste. Tout État a
le droit de se défendre et le devoir de protéger ses citoyens.
S'il ne dispose pas de moyens militaires suffisants, il doit être
en mesure de recruter les personnels nécessaires. C'est en effet
un usage pratiqué par toutes les grandes nations militaires, dont
la France, de fournir aux pays alliés l'assistance qu'ils requièrent
pour former, encadrer et assister leurs armées. Il n'est pas question
de remettre en cause cet usage. Il convient, en revanche, de sanctionner
les excès du mercenariat. [
]
Ne pourront être poursuivis ni les ressortissants d'un État
partie au conflit, ni les membres des forces armées de cet État,
ni les personnes envoyées en mission auprès d'une des parties
au conflit. [
] L'organisation du mercenariat, sa direction, son
recrutement, son financement tomberont aussi sous le coup de la loi. Outre
les Français, les étrangers résidant habituellement
en France pourront eux aussi être poursuivis.
L'évolution des pratiques du mercenariat rend insuffisante la seule
incrimination des personnes physiques. Aussi le projet inclut-il la possibilité
de poursuivre les personnes morales, c'est-à-dire des organisations
et des sociétés pour la plupart anglo-saxonnes.
L'activité des mercenaires fait du tort à de nombreux pays
amis. Ce projet a pour lui de remédier à cette situation.
Il comble également une lacune de notre législation. [
]
M. Marc Joulaud, rapporteur de la commission de la défense :
[
] La lutte contre le mercenariat s'est d'abord traduite par
l'élaboration de conventions internationales. Ainsi le protocole
I du 8 juin 1977 établit, pour la première fois, un statut
juridique international du mercenaire, lequel est exclu du statut de combattant
régulier, donc des protections internationales que ce statut garantit
aux prisonniers de guerre. Mais la définition que le protocole
donne du mercenaire est étroite, et repose sur six critères
cumulatifs. Il faut ainsi être spécialement recruté
pour prendre part à un conflit armé ; participer directement
aux hostilités ; en retirer un avantage personnel important ; n'être
ni ressortissant ni résidant d'une partie au conflit ; ne pas être
membre des forces armées d'un belligérant ; ne pas avoir
été envoyé en mission officielle par un État
tiers. Ce protocole a été ratifié par 161 États,
dont la France. [
]
Le nouvel article 436-1 [instauré par le projet de loi] définit
l'activité répréhensible et en caractérise
la peine. Cette activité, qui peut concerner soit un " conflit
armé ", soit un " acte de violence concerté ",
est définie par une reprise des six caractéristiques cumulatives
énumérées par le protocole de 1977. Cette définition
très précise exclut ainsi l'emploi par les États
de forces étrangères soldées ainsi que l'appui militaire,
ouvert ou discret, qu'ils peuvent apporter à une partie en conflit,
et même l'enrôlement d'un Français dans les forces
d'une partie à un conflit étranger. [
]
M. Frédéric Dutoit (PC) :-Nous approuvons [
]
l'esprit général de ce texte, pour autant qu'il tend à
définir le mercenariat, à l'incriminer officiellement et
à l'assortir de sanctions pénales sévères.
Il laisse toutefois subsister quelques vides juridiques. Ainsi, il laisse
entier le problème posé par le développement international
d'activités privées dans le domaine de la sécurité
et des questions militaires. Des firmes agissent sur l'ensemble de la
planète, au gré des conflits et des besoins, pour leur propre
profit ou pour celui d'un pays, notamment le leur. Ces activités
conduisent de fait à se payer sur la dette ou sur les ressources
naturelles de pays déjà en détresse financière,
à violer les droits humains, ou encore à servir les intérêts
de compagnies ou de gouvernements sans scrupules au détriment du
droit des peuples. [
]
L'action des firmes transnationales de sécurité s'accompagne
souvent de violations manifestes des droits de l'homme. Certains y voient
un caractère inhérent aux activités de mercenaires,
mais d'autres affirment que c'est le dernier obstacle à leur législation,
et qu'il provient d'inventions des journalistes et des rebelles inquiétés
par la mission des compagnies.
En tant qu'acteurs non gouvernementaux, les firmes transnationales de
sécurité échappent largement au droit international.
[
] Leur action est trop sensible pour échapper au contrôle
des États qui les accueillent. Ceux-ci exercent une tutelle plus
ou moins forte sur leurs activités, et les pratiques oscillent
entre l'acceptation tacite des contrats, le feu vert explicite et même
des licences publiques d'autorisations.
Les compagnies agissent ainsi sous le couvert de leurs États hôtes
avec une plus ou moins grande marge de manuvre. En contrepartie,
les gouvernements profitent de ce formidable levier pour atteindre leurs
objectifs. [
]
Il n'est [
] pas étonnant que la formation des militaires
soit l'un des plus grands marchés des sociétés privées
dans les pays en développement ou en transition. [
] Ce mercenariat
moderne fait réapparaître le spectre d'un néocolonialisme.
Or ce projet laisse entier le problème du développement
d'activités privées dans le domaine de la sécurité.
[
] Réserve faite de ces omissions dommageables, ce texte
comble un vide juridique grâce à une définition précise
du mercenariat, assortie de sanctions pénales sévères.
Il mérite donc notre soutien. [
]
M. Axel Poniatowski (UMP) : [
] Notre pays ne peut accepter
ces prestations militaires, qui contribuent à la marchandisation
des conflits. [
] De même que c'est en s'attaquant aux réseaux
mafieux internationaux en même temps qu'aux petits dealers aux portes
de nos écoles que l'on éradiquera le phénomène
de la drogue, c'est en s'attaquant aux organisations militaires privées,
essentiellement d'origine anglo-saxonnes, que l'on parviendra à
limiter le commerce de la mort, nourri par l'argent illégal et
mafieux.
M. Paul Quilès (PS) : [
] Le terme un peu archaïque de
mercenaire ne doit pas faire illusion. Il y a là une menace grave
et nouvelle pour la stabilité internationale, la paix et les droits
de l'homme dans les pays les plus oubliés des grandes puissances.
[
] L'adoption de ce projet marquera un progrès significatif.
[
] Nous ne devons cependant pas nous en tenir là. La lutte
contre le mercenariat doit pouvoir également s'appuyer sur des
instruments juridiques internationaux, lesquels sont à l'heure
actuelle soit insuffisants soit inadaptés. [
] La réflexion
doit donc être poursuivie en vue d'élaborer un instrument
international crédible de répression des activités
de mercenaire. Je souhaite que l'Union européenne se saisisse de
cette question. [
]
La définition d'une politique européenne de lutte contre
le mercenariat devra tenir compte de l'existence de deux approches : l'une
qui vise à l'interdire rigoureusement, l'autre qui refuse toute
interdiction des interventions privées dans le domaine de la défense
et qui n'admet au mieux que leur encadrement. Ce projet de loi est cohérent
avec la première approche, dont je souhaite qu'elle soit retenue
par le plus grand nombre possible de nos partenaires européens
et, plus largement, sur le plan mondial. [
]
M. Éric Diard (UMP) : [
] Cette définition
très précise permet de lever toute ambiguïté
puisque sont explicitement exclues du champ d'application de la loi toutes
les activités ne conduisant pas à prendre directement part
aux hostilités. Les activités de conseil et d'assistance
fournies par nos ressortissants au profit de gouvernements étrangers
ne peuvent donc être visées, qu'il s'agisse de coopération
d'État à État ou de contrats d'exportation. En outre,
l'emploi par les États de forces étrangères soldées
n'est nullement dénoncé, ni même l'enrôlement
d'un Français dans les forces d'une partie à un conflit
étranger.
Ce texte suscite un large consensus. Il est marqué par la recherche
d'un équilibre et comble un vide juridique dans le code pénal.
[
]
La discussion générale est close. L'article unique [
]
est adopté.
Mme la Ministre - Je me félicite de l'unanimité qui marque
ce vote. [
] L'Assemblée nationale s'honore de ce vote comme
la France s'honore de cette loi.
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